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Bug de la plateforme e-Procurement : obligation de report de l’ouverture des offres ?

L’arrêt n°263.972 du 22 juillet 2025 du Conseil d’État mérite le détour. Il met en lumière une question sensible qui touche directement à la dématérialisation des procédures : que se passe-t-il lorsqu’une offre n’est pas signée électroniquement en raison d’un dysfonctionnement de la plateforme e-Procurement au moment crucial du dépôt des offres ? 

Un litige naît à l’occasion d’un marché public de travaux portant sur des connexions entre réservoirs. Un soumissionnaire voit son offre déclarée irrégulière au motif qu’elle ne contient pas de signature électronique valable. L’intéressé ne conteste pas l’absence de signature mais invoque l’incident technique qui affecte la plateforme au moment précis de la transmission de son offre. Selon lui, ce dysfonctionnement l’a empêché matériellement de procéder correctement à la signature. Il s’appuie sur des échanges avec le SPF BOSA qui confirment qu’un problème est bien signalé sur la plateforme au moment du dépôt. 

Le pouvoir adjudicateur refuse toutefois d’admettre l’argument. Il considère qu’un autre opérateur économique a, dans le même intervalle, réussi à déposer une offre régulièrement signée. Partant, il a décidé de maintenir l’ouverture des offres à la date initialement fixée et de rejeter l’offre non signée comme irrégulière. L’autorité adjudicatrice estime ainsi que l’incident technique ne justifiait pas un report ni une régularisation a posteriori. 

Saisi d’un recours, le Conseil d’État rappelle le cadre juridique applicable. L’article 63 de l’arrêté royal du 18 juin 2017 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs spéciaux prévoit que l’entité adjudicatrice peut reporter la date limite de dépôt des offres lorsqu’elle a connaissance d’une indisponibilité de la plateforme électronique. Le texte institue donc une faculté, et non une obligation, de prolongation. Néanmoins, le juge administratif souligne que cette faculté doit s’exercer de manière raisonnable et proportionnée, en tenant compte de la gravité et du moment de l’incident. 

L’arrêt développe une analyse approfondie en s’appuyant sur le rapport au Roi précédant l’arrêté royal du 18 avril 2017 applicable aux secteurs classiques, dont l’article 57 est le pendant de l’article 63. Ce rapport précise que les indisponibilités survenant dans les toutes dernières heures avant la clôture du dépôt sont particulièrement problématiques. Elles placent en effet les soumissionnaires dans l’impossibilité pratique de réagir, alors qu’une panne survenue plusieurs jours auparavant leur laisserait le temps de prendre des mesures alternatives. Le Conseil d’État constate que l’incident en cause survient moins de deux heures avant l’ouverture des offres, soit au moment le plus critique de la procédure. 

Le juge insiste aussi sur le comportement du soumissionnaire concerné. Celui-ci se montre diligent en contactant immédiatement le pouvoir adjudicateur et le BOSA pour tenter de trouver une solution. Cette réactivité témoigne de sa bonne foi et exclut toute négligence de sa part. L’argument selon lequel un autre opérateur parvient malgré tout à signer et à déposer son offre n’emporte pas la conviction. Une difficulté technique peut toucher différemment les utilisateurs et ne supprime pas l’existence objective d’un dysfonctionnement. 

Le Conseil d’État examine enfin les réponses du SPF BOSA. Celles-ci ne sont pas catégoriques et se limitent à indiquer qu’« a priori » la fonctionnalité de signature est rétablie environ vingt minutes avant la clôture. Cette formulation prudente révèle une incertitude persistante, qui laisse planer un doute sur la fiabilité de la plateforme au moment décisif. De surcroît, une fenêtre de vingt minutes est particulièrement étroite pour garantir un dépôt sûr et effectif. Elle accroît au contraire l’aléa auquel sont exposés les soumissionnaires, ce qui renforce l’idée de force majeure. 

Au terme de son raisonnement, le Conseil d’État conclut que le pouvoir adjudicateur commet une erreur d’appréciation en refusant de reporter l’ouverture des offres ou, à tout le moins, de réexaminer la régularité de l’offre affectée par le défaut de signature. La faculté prévue par l’article 63 ne peut être utilisée de manière abstraite et rigide. Elle doit être mobilisée avec discernement lorsque les circonstances révèlent une entrave sérieuse et imprévisible à l’exercice des droits des opérateurs économiques. 

Cet arrêt délivre un message clair. Lorsque la panne survient au moment critique de la remise des offres, le pouvoir adjudicateur doit faire preuve de pragmatisme et envisager un report. Faute de quoi, il s’expose à la censure du juge administratif pour erreur manifeste d’appréciation. 

En définitive, la décision du Conseil d’État rappelle aux pouvoirs adjudicateurs que la rigueur des règles de dépôt électronique ne peut conduire à sacrifier le principe de concurrence effective sur l’autel d’un incident technique. Elle constitue un signal fort en faveur d’une interprétation équilibrée des textes, qui protège les droits des soumissionnaires tout en préservant la sécurité juridique de la procédure. 

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